« C'est pourquoi, en réalité, lorsqu'on l'appelle une crise, on tend à la dépolitiser. Alors, il faut donc vraiment l’appeler pour ce qu'elle est : un modèle d'habitation qui fonctionne pour une petite minorité, ou des gens qui ont une grande accumulation de ressources. Et puis, pour la majorité des gens, cela ne fonctionne plus. »
Pour Marie-France, cette situation reflète ce qu’elle appelle un « modèle d'habitation dysfonctionnel », qui creuse les inégalités sociales. Le prix des loyers à Montréal a grimpé de 27 % entre 2020 et 2024 (1), rendant le logement de plus en plus difficile d'accès pour de nombreux résidents. Parallèlement, le marché immobilier de la ville a généré 4,9 milliards de dollars en transactions au deuxième trimestre de 2024, une augmentation de 32 % par rapport à l’année précédente (2).
L'accès à la propriété, un rêve hors de portée pour les jeunes
De plus, il leur faut en moyenne 14 ans pour épargner une mise de fonds pour une maison, alors que leurs parents, les baby-boomers, n’en avaient besoin que de cinq
« Des jeunes comme toi, nos enfants, ne pourront jamais acheter une propriété avec un modèle comme celui-ci. » Les statistiques soutiennent cette vision sombre. 60 % des jeunes Canadiens vivent d’un chèque de paie à l’autre, et la crise du logement contribue à leur endettement croissant (3). De plus, il leur faut en moyenne 14 ans pour épargner une mise de fonds pour une maison, alors que leurs parents, les baby-boomers, n’en avaient besoin que de cinq (4). Avec presque 44 % des jeunes adultes qui ont abandonné l’espoir d’acquérir un jour une propriété, la perspective d’accéder à ce rêve canadien est de plus en plus inaccessible pour les nouvelles générations. Les non-propriétaires (42 %) étaient deux fois plus susceptibles que les propriétaires (22 %) d'envisager de déménager dans une nouvelle province pour des raisons d'accessibilité financière (5).
« Nos grands-parents finissaient de payer leur hypothèque en 10-15 ans, mais aujourd'hui, ce modèle vole la vie des individus. » Pour elle, il est impératif de penser à des solutions nouvelles, comme des modèles d’habitation partagée ou des copropriétés. Si les gens avaient moins de stress financier lié au logement, cela stimulerait davantage l'économie et améliorerait la qualité de vie.
La disparition des petits propriétaires face aux géants financiers
« Ce qui est le fun avec Montréal, c'est que la majorité des propriétaires sont encore des petits propriétaires. Mais ce qui se passe aux États-Unis et à Toronto, avec les sociétés de gestion d'actifs, ça fait très peur. » Ces grandes entreprises achètent des immeubles entiers et maximisent les profits en augmentant les loyers, réduisant les coûts d’entretien et utilisant des échappatoires légales. En conséquence, la proportion de logements abordables diminue, ce qui pousse encore plus de personnes dans des situations de précarité. Selon un rapport, 20 % des logements locatifs au Canada sont maintenant entre les mains de ces sociétés financières (6). Le Canada a perdu plus de 550 000 logements locatifs abordables entre 2011 et 2021 (7). Après avoir acquis un immeuble, les propriétaires financiarisés déposent souvent trois fois plus de demandes d'expulsion pour faire de la place à de nouveaux locataires prêts à payer des loyers plus élevés. Par exemple, à Toronto, les investisseurs détiennent aujourd'hui plus de 50 % des nouveaux appartements, et les experts affirment qu'ils font grimper les prix des logements pour tout le monde (8).

La disparition des petits propriétaires face aux géants financiers
L'accès au logement est également marqué par des inégalités raciales. Marie-France souligne que « la communauté noire est la moins susceptible, au Canada, d'acquérir une maison. » À Montréal, par exemple, les personnes autochtones sont 27 fois plus susceptibles d’être sans-abri que la population générale (9). 15,1 % des ménages noirs ont des besoins impérieux en matière de logement, contre 9,0 % de la population générale. Les Noirs paient également des loyers nettement plus élevés (10).

La disparition des petits propriétaires face aux géants financiers
En plus de son travail dans l'immobilier, Marie-France s’investit dans des projets à l'intersection de l'art, de la culture et du logement. Elle explique : « Nous avons créé un incubateur socio-culturel avec des partenaires à New York et Atlanta pour tester de nouveaux modèles. » Un exemple de cette initiative est un bâtiment abandonné à Montréal que son équipe souhaite transformer en espace mixte, combinant logements et espaces créatifs. Pour elle, l’immobilier peut être un moteur de changement social, en particulier pour la classe créative et les travailleurs essentiels. Son objectif est de créer des logements abordables tout en redonnant de la valeur à la communauté par le biais de l'art et de la culture. « C'est pour cela que notre entreprise s'appelle Immobilier Humain. Nous sommes une entreprise d'innovation sociale, et nous faisons de l'innovation sociale dans l'immobilier. »