Shi Tao, met en lumière l'histoire du Quartier Chinois, bâti par des travailleurs chinois suite à la Loi sur l'exclusion chinoise: « Le quartier chinois a historiquement été un espace de résilience. » À cette époque, la communauté faisait face à une discrimination importante, notamment dans l'accès aux financements. Pour y remédier, les travailleurs ont créé des institutions communautaires, telles que des associations familiales, qui ont permis de prêter de l'argent à ceux dans le besoin.
Services essentiels menacés
Elle ajoute, qu’aujourd’hui, « une grande proportion des habitants du quartier chinois sont des aînés allophones, dont beaucoup ne maîtrisent pas le français ou l'anglais. Ce quartier est donc un endroit extrêmement important pour eux en raison des services culturellement et linguistiquement accessibles qu'il offre. Comparé à la moyenne montréalaise, les personnes âgées habitent le Quartier chinois dans une plus grande proportion. Sur une population recensée de 2498 en 2021, le taux de personnes âgées de 65 ans et plus est de 29,40 % et le taux de personnes ne connaissant ni l’anglais ni le français est de 11,80 % (1).
Shi Tao ajoute qu’« il y a des services extrêmement importants qui sont malheureusement menacés par le gouvernement. Par exemple, le Service de la famille chinoise du Grand Montréal et le centre Sino-Québec de Montréal sont à risque de fermer. En mars 2023, la GRC a annoncé qu'elle enquêtait sur ces deux centres, suspectant qu'ils pourraient être des postes secrets chinois. En conséquence, les bailleurs de fonds ont retiré leur soutien financier, et ces centres ont failli perdre leurs bâtiments. »
Pressions immobilières et gentrification
La gentrification et la spéculation immobilière pèsent lourdement sur le Quartier chinois. Tel que l’explique Shi Tao, « on voit de grands propriétaires immobiliers essayer d'acheter les bâtiments historiques du quartier chinois à bas prix, dans le but de chasser les locataires et de les transformer en condos. Cette pratique est connue sous le nom de « rénoviction ».
En effet, le quartier connaît l’un des plus hauts taux de vacance commercial à Montréal, soit 17 % de la superficie et 21 % des locaux – est parmi les plus élevés de la ville de Montréal (2). Lors des six dernières années, le Quartier chinois est confronté à une hausse de pressions immobilières. Conséquemment, plusieurs propriétés du quartier ont été transférées aux mains de propriétaires non asiatiques et aux mains de promoteurs immobiliers dont les grands projets de développement ne s’adressent pas nécessairement aux résident·e·s ni à la communauté élargie du Quartier chinois.

Les propriétaires qui sont financiarisés ont davantage tendance à cibler les quartiers en voie de gentrification, notamment en raison du fait qu’ils peuvent augmenter les loyers plus rapidement afin de s’adresser aux locataires jouissant de revenus plus élevés, contribuant alors au déplacement des locataires à faible revenu, dont beaucoup sont incapables de faire face à la hausse du coût de la vie.
Sur une population recensée de 2498 en 2021 du Quartier chinois, le nombre de personnes dont les revenus bruts totaux sont de 100000 $ et plus est de 140, tandis que le nombre de personnes dont les revenus nets sont de 80000 $ et plus est de 180 (3). De plus, le taux de personnes à faible revenu selon la mesure de faible revenu après impôt est de 26,40 % (4).
La Ville de Montréal possède 4 % des propriétés, et la distribution des propriétés au Quartier Chinois selon l’origine est répartie de la manière suivante: soit 81% des propriétaires sont asiatiques et 19% des propriétaires sont non asiatiques (5). « Après les grands projets de rénovation urbaine des années 1960 menés par le gouvernement fédéral et la Ville de Montréal, ce sont désormais les acteurs privés, notamment les promoteurs immobiliers, qui réduisent l’accès de la communauté à l’espace du quartier ».
Impacts environnementaux et sociaux
Concernant les enjeux territoriaux et climatiques, Shi Tao souligne que « le fait qu’un tiers du quartier chinois ait été rasé dans les années 1960-70 pour agrandir le boulevard et le complexe Guy-Favreau a également contribué à isoler le quartier chinois entre deux grandes artères routières. En été, avec les émissions des voitures, cela a un impact considérable sur la qualité de l’air. »
Elle met également en avant que le manque d’espaces verts et ouverts dans le Quartier chinois nuit « à la capacité des résidents à trouver des oasis climatiques ou des espaces verts en période de crise climatique ». Shi Tao précise qu'en été, « il y a aussi une certaine perturbation de la qualité de l’air, et des îlots de chaleur se forment en raison du manque d'espaces verts et de la manière dont les bâtiments sont construits ». Ainsi, ces éléments contribuent à limiter les possibilités pour les résidents de se réfugier dans des espaces frais et sains en période de réchauffement climatique.

Précarité et entraide dans le Quartier chinois
Shi Tao met également en lumière les relations complexes avec les populations autochtones et la nécessité d'inclure leur histoire dans le développement du Quartier chinois. Un projet autochtone à proximité fournit un refuge crucial pour les personnes en situation de précarité, bien que le profilage policier demeure un problème préoccupant pour les résidents.
Face à cette précarité, des initiatives communautaires émergent, comme celle du groupe bénévole « Résiste à la rue », qui cuisine chaque dimanche 150 repas chauds et les distribue aux personnes dans le besoin. « Tout le monde profite de ces services, que ce soit les personnes itinérantes ou les aînés chinois vivant de l’aide sociale, qui reçoivent environ 1300 $ par mois, alors que leur loyer coûte autour de 1100 $. »
Cette entraide souligne l'urgence d'un soutien financier accru pour ces services, car il existe « un problème très universel, et tout le monde a besoin d’un filet de sécurité sociale. » En parallèle, des études montrent que l'itinérance coûte cher à la ville : loger ces personnes permettrait des économies substantielles, sachant que l’itinérance coûte à Montréal plus de 56 000 $ par personne sans abri par an (6). Fournir un logement réduit les besoins en interventions policières, en visites aux urgences et en autres services d’urgence coûteux.